Loi Retailleau : décryptage
Alors que de plus en plus de nos élèves et des familles de nos élèves, constituées de travailleurs et de travailleuses en emploi ou privé.es d’emploi, et certain.es de nos collègues, sont livré.es à la brutalité répressive du gouvernement, la CGT décrypte la Circulaire Retailleau du 23 Janvier 2025 sur les Orientations générales relatives à l’admission exceptionnelle au séjour prévue aux articles L.435-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
L’esprit de la loi : diminuer le nombre d’obtention de titres de séjour
Le 23 Janvier le ministre de l’intérieur signe une circulaire sur l’immigration concernant « les Orientations générales relatives à l’admission exceptionnelle au séjour », en clair donnant les consignes aux préfets sur la régularisations administratives des personnes sans titres de séjour.
Cette circulaire s’inscrit dans un contexte politique de fragilité gouvernementale, où celui-ci entend donner des gages à l’extrême droite notamment sur la question migratoire. Le ministre de l’Intérieur occupe d’ailleurs l’espace médiatique depuis sa nomination sous le gouvernement Barnier. Il s’agit ici d’une circulaire de trois pages qui abroge la circulaire du 28 novembre 2012 (dite Valls) qui comptait 12 pages.
Il faut bien comprendre que cette circulaire, par essence ne peut modifier ni la loi, ni le CESEDA (Code d’entrée et séjour des étrangers et du droit d’asile). La dernière modification du CESEDA date de janvier 2024, avec la loi Darmanin.
Il s’agit donc ici pour le ministre de l’intérieur de « discipliner » le corps préfectoral afin qu’il exerce son pouvoir discrétionnaire et son pouvoir d’appréciation de manière à aligner les pratiques préfectorales avec ses priorités qui sont l’augmentation du nombre annuel des reconduites et la réduction des régularisations à portion congrue. Le ministère a d’ores et déjà annoncé vouloir baisser ce type de re régularisation de 30%.
La circulaire est réputée d’application immédiate et fixe des orientations générales relatives à l’admission exceptionnelle au séjour prévues aux articles L435-1 et suivants du CESEDA.
Une protection légale qui reste heureusement applicable
Pour autant, si la circulaire « Valls » est abrogée, les dispositions d’autorisation exceptionnelle de séjour par le travail en général (hors métiers en tension) ne le sont pas puisqu’elles figurent toujours dans la loi.
En précision, les dispositions des articles :
- L435-1 2 et 3 : ouvrent tous à une possible CST (Carte Séjour Temporaire en salarié, ou travailleur temporaire) ou VPF (Vie Privée Vie Familiale) selon l’angle de la demande,
- L435-1 : L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels-
- L435-2 : L’étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 265-1 du code de l’action sociale et des familles et justifiant de trois années d’activité ininterrompue au sein de ce dernier,
- L435-3 : A titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle.
- L435-4 : A titre exceptionnel, l’étranger qui a exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement.
Recentrer sur les métiers en tension
La circulaire a vocation à exiger des préfets que les autorisations exceptionnelles de séjour deviennent, comme leur nom l’indique, tout à fait « exceptionnelles », les invitant ainsi à diminuer le nombre de délivrance de titres de séjour.
La création du L435-4 a amené l’Etat à différencier dans la mise en œuvre des 4 articles ; en séparant cas général et cas métiers en tension.
La manœuvre de la circulaire Retailleau consiste donc à orienter les préfectures en ces termes : « concernant les autorisations exceptionnelles de séjour par le travail, vous vous recentrerez sur le mode de régularisation prévue par le 435-4 plutôt que par le 435-1. » Le ministre flèche donc les régularisations par le travail sur l’article L.435-4 du CESEDA, soit la régularisation par la liste des métiers en tension, liste qui, n’est pas finalisée et qui par nature ne contiendra que très peu de métiers exercés par les travailleurs et travailleuses migrant.es puisque justement ces métiers sont occupés et que donc ils ne sont pas en tension.
Un temps de présence de 7 ans : indice d’intégration ?
La nouvelle circulaire indique, par ailleurs, un temps de présence de 7 ans (au lieu de 5 ans auparavant) comme un indice d’intégration pertinent (auto-proclamé), qui permettrait de délivrer un titre de séjour (sauf pour les régularisations par le travail, dont la condition de durée de résidence reste de 3 ans. La circulaire Retailleau ne peut rien y changer là-dessus puisque c’est inscrit dans la loi)...
Principes républicains et maitrise du français : des critères subjectifs et excessifs
Notons qu’avec cette nouvelle circulaire, les parents d’enfants scolarisé·es ou les conjoint∙es de personnes étrangères en situation régulière qui pouvaient prétendre à une régularisation rentrent dans une complète incertitude sur le sort qui leur sera réservé.
Le ministre rappelle dans ce document que tout personne sollicitant un titre de séjour s’engage à respecter les principes de la République par signature du contrat d’engagement républicain, renvoyant ainsi l’idée que les immigré.es représenteraient un danger pour la République.
En outre, le ministre incite à porter une attention particulière sur le niveau de langue, et subordonne implicitement l’appréciation favorable à la « justification d’un diplôme français ou bien une certification linguistique délivrée par un organisme agréé ou toute autre preuve d’une maîtrise de la langue française ».
Et surtout : des OQTF !
Il faut noter que le ministre exhorte les préfets, avant toute chose, à assortir tout refus de titre de séjour d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF). Plus loin dans la circulaire, il les appelle à porter une attention particulière aux demandes d’Admission Exceptionnelle au Séjour d’étrangers n’ayant pas satisfait à l’obligation de quitter le territoire français, rappelant que le nouveau régime des OQTF est exécutoire pour une durée de trois ans. La circulaire insiste par ailleurs sur les dispositions de l’article L432-1-1 du CESEDA indiquant que les OQTF non exécutées peuvent justifier un refus à l’admission au séjour. L’ensemble de ces dispositions flèchent inexorablement une partie des immigré∙es vers un « no man’s land » administratif.
La circulaire souligne également que ces titres de séjour ne peuvent être délivrés en cas de « menace à l’ordre public ». Derrière, cette formulation, se cache l’obstination du ministre de l’Intérieur pour le rétablissement de la double peine (condamnation pénale et expulsion).
Il nous faut porter nos revendications plus fort
Dans ce contexte, il est de la responsabilité de la CGT de réaffirmer qu’en l’état actuel des choses et du droit (textes et jurisprudence), il existe un levier de régularisation, permettant de régulariser les travailleuses et les travailleurs migrant∙es qui sont nombreux et nombreuses à ne pas exercer des métiers réputés en tension. La CGT doit rappeler l’existence de ces leviers, revendiquer leur activation et leur extension, et continuer de militer pour une simplification des procédures de régularisation par le travail. Nous devons réaffirmer aussi notre consternation face à l’annonce d’une liste des métiers en tension « actualisée » sans concertation avec les organisations syndicales et niant la réalité du travail migrant.
La CGT dénonce le durcissement observé dans les préfectures encouragé par un ministre de l’Intérieur qui n’a d’autre priorité que d’augmenter le nombre de reconduites (déjà supérieures à la moyenne de l’Union européenne) et à réduire au minimum les régularisations en incitant les préfets à désactiver les minces leviers d’admission exceptionnelle au séjour existants.
La CGT dénonce l’hypocrisie consistant à réaffirmer le pouvoir d’appréciation des préfets tout en les orientant vers une politique systématiquement répressive, en faisant du niveau de langue un critère d’exclusion et non d’intégration.
La CGT renouvelle son souhait de permettre aux travailleurs et travailleuses d’accéder aux dispositifs de formation en langue et d’accroître le nombre d’heures pour satisfaire à un objectif d’intégration véritable qui passe aussi pour l’essentiel par le travail.
Ce qui implique concrètement, que la CGT mobilise l’ensemble de ses organisations, y compris fédérations confrontées à la question des renouvellements de titre, devenues de plus en plus impraticables qui aboutissent à des ruptures de contrat, sur une idée simple : la restriction des droits des travailleurs migrants et leur illégalisation contribue à fragiliser notre camp social dans son ensemble.
La CGT et notamment ses unions départementales s’engagent dans la construction et l’amplification du front unitaire né à l’occasion de la journée internationale des migrant∙es les 14 et 18 décembre 2024 (Appel Nées ici ou venu.es d’ailleurs qui rassemble un grand nombre d’organisations au plan national) pour faire de la journée du 22 mars (en lien avec la journée internationale contre le racisme) un moment de forte mobilisation autour des premières et des premiers intéressé∙ees.
Il s’agit d’une part, dans l’unité la plus large d’installer un contre-récit sur l’immigration face à la dérive xénophobe et raciste du ministre de l’intérieur et la montée de l’extrême droite à l’échelle européenne et mondiale. D’autre part, il est fondamental de construire un bouclier de protection des populations migrantes, avec ou sans papiers et plus largement des populations étrangères ou d’origine étrangère désormais ciblées comme un « ennemi intérieur ».
La CGT dans ce plan de construction d’un rapport de force doit s’employer à soutenir et à accompagner et développer les luttes des travailleuses et des travailleurs migrant∙es, y compris par la grève, massive, comme moyen de sortir de cette invisibilité et de répondre à la menace qui pèse sur elles et eux, comme nous l’avons fait à la fin des années 2000 pour gagner une circulaire de régularisation.
Gagner des droits pour les travailleurs et travailleuses migrant∙es c’est gagner des droits pour toutes et tous.
Plus que jamais La CGT exige l’admission au séjour, au titre du travail, de plein droit pour les travailleurs et les travailleuses migrant·es.
Source : CGT, Note aux organisations, Montreuil, le 12 février 2025.