Idée reçue : "faire grève ne sert à rien"... En fait, si !
Alors que les initiatives destinées à restreindre le droit de grève fleurissent à intervalles réguliers, de récentes études de la DARES [1] montrent que ce mode d’action demeure le moyen le plus efficace pour faire valoir ses revendications auprès de son employeur.
Faire grève ou non ? La question se pose à chaque travailleur et chaque travailleuse lors d’un conflit social sur son lieu de travail ou lors d’une grande mobilisation interprofessionnelle. De son côté, le camp patronal et ses relais politiques alimentent des discours en apparence contradictoires, mais qui reviennent systématiquement, in fine, à décrédibiliser cette pratique. D’un côté, l’idée d’une démarche inutile : "Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit", expliquait ainsi Nicolas Sarkozy en 2008. De l’autre, le couplet sur la France "championne de la grève" et les classiques accusations de "prise d’otages" sur les chaînes d’informations en continu, à la moindre grève de raffineurs ou de cheminots.
Un droit fréquemment attaqué
De quoi cette aversion est-elle le nom ? De l’efficacité de la grève, bien sûr. Certes, ces dernières années, le recours à la cessation collective et concertée du travail en vue d’obtenir la satisfaction de revendications professionnelles, selon la terminologie consacrée, s’est complexifié. La faute, tout d’abord, à certaines "réformes" qui ont eu précisément pour visée de neutraliser le "pouvoir de nuisance" de la grève.
Ainsi, depuis la loi du 21 août 2007 votée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, certaines catégories d’agent.es de la SNCF et de la RATP doivent déposer une déclaration individuelle d’intention au moins 48h avant le début du mouvement pour faire grève. La loi du 20 août 2008 a imposé une procédure similaire aux enseignant.es des écoles maternelles et élémentaires, tandis que la loi Diard du 19 mars 2012 étend le mécanisme aux salarié.es du secteur aérien.
Dans le même temps, des dispositifs d’encadrement managériaux visant à briser les mouvements sociaux ou rendre le recours à la grève toujours plus coûteux ont émergé dans de nombreuses entreprises. À la RATP, une prime évolutive est versée aux salarié.es, sous condition de présence, et donc non attribuée en cas de participation à une grève.
La grève paie, c’est prouvé !
Même si faire grève s’avère difficile pour nombre de travailleurs et de travailleuses, deux études de la DARES prouvent que ce mode d’action paie.
Dans La Négociation collective d’entreprise en 2020, publiée en 2022, la direction des statistiques montre que 15% des entreprises n’ayant connu aucun conflit ont négocié ou signé des accords, contre 70% de celles en ayant vécu un. Parmi les actions menées (rassemblements, pétitions...), la grève s’avère la plus efficace : 62,8% des entreprises ayant connu une grève ont conclu au moins un accord en 2020, contre 12,7% pour celles n’en ayant connu aucune.
Plus récemment, dans Conflits du travail et rémunérations, paru en 2024, la DARES a étudié 3 500 établissements entre 2014 et 2019. Résultat ? Ceux "concernés par des conflits individuels et collectifs fréquents et longs obtiennent en moyenne une rémunération horaire brute supérieure de 5%" par rapport aux autres.
Article adapté de : Pauline Porro, "Idée reçue : faire grève ne sert à rien !", La Vie Ouvrière, Ensemble (magazine de la CGT), n°24, avril 2024, p. 30.
[1] Créée en 1993, la DARES (Direction de l’Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques) poursuit deux missions principales : éclairer le débat public en publiant des données ou des analyses accessibles à tous et toutes, et accompagner le ministère en charge du travail et plus largement les pouvoirs publics lorsqu’une réforme se prépare. Elle publie régulièrement des chiffres sur le marché du travail, des études récurrentes ou ponctuelles sur le "marché du travail", des évaluations de politique. La DARES est un service statistique ministériel. Elle produit ses données sous le contrôle de l’Autorité de la statistique publique. Pour en savoir plus, c’est ici !